|
|
Boom démographique
et planning famlial
|
1817 |
1842 |
1947 |
1962 |
1984 |
1999
|
Taux
d'accroissement annuel
1962 à 1999 |
Teko
côté Tampok |
|
|
|
10 |
|
120
|
6,94
% |
Teko
côté Camopi
et Oyapock |
|
|
|
45 |
|
250
|
4,74
% |
Wayãpi
|
|
|
|
136 |
|
800 |
4,90
% |
TOTAL
HAUT
OYAPOCK
Taux d'accroisse-
ment annuel
HAUT
OYAPOCK |
5
à 6000
|
700
- 8,6 %
1817-42 |
100
- 1,87 %
1842-1947 |
181
+ 4%
1947-62 |
600
+ 5,6 %
1962-84 |
1050
+ 3,8
%
1984-99 |
|
Les chiffres de 1947 proviennent
de Fribourg-Blanc, rapportés par Dillies Flautre. Les
chiffres de 1962 proviennent de Cabannes, Larrouy et Ruffié.
Les chiffres de 1947 et 1984 proviennent de la thèse
de Brigitte Dillies Flautre,« Bilan sanitaire d'une
communauté amérindienne du Haut Oyapock ».
Ceux de 1999 m'ont été donnés par la
gendarmerie de Camopi. Les taux d'accroissement annuels ont
été calculés par moi-même. |
Comment les interpréter
?
- toute la population s'était-elle présentée en
1947 ou 1962 ? Elle était plus nomade qu'aujourd'hui.
- si oui, alors les Amérindiens du Haut Oyapock sont
en croissance démographique, à l'instar des
Amérindiens du Brésil qui sont passés
de 100 000 en 1960, à 350 000 aujourd'hui. C'est
une réussite puisqu'il y a quarante ans, l'opinion
générale et les courbes disaient qu'ils allaient
bientôt physiquement disparaître, qu'il n'y
en aurait plus un seul alors qu'ils étaient entre
2 et 6 millions au Brésil avant l'arrivée
des Européens.
Quels facteurs invoquer pour expliquer ce boom, si boom
il y a :
- Je n'ai pas observé ni même entendu |
parler
de la « rhume », il peut s'être
créé une immunisation naturelle des Amérindiens
contre cette « rhume », nom créole
donné à des pneumopathies de type grippal
qui entraînaient encore dans les années 1950
des épidémies parfois mortelles lors du passage
d'un groupe créole ou européen chez des Indiens
non contactés ou peu contactés. Ce phénomène
n'a pas disparu au Brésil où restent encore
de rares Indiens non contactés.
• Mais si cette croissance se poursuit,
sols et rivières risquent d'être trop pauvres;
abattis, cueillette, chasse et pêche ne permettent
d'entretenir que des groupes humains peu nombreux dont la
densité ne dépasse pas un habitant par kilomètre
carré. Or le planning familial |
n'est soumis à aucun
interdit religieux et rencontre un grand succès,
succès que je ne pouvais m'empêcher de comparer
mentalement à celui qu'il a connu dès son
apparition après 1990 au Cambodge pays où
il n'existe pas d'interdit de la part des autorités
bouddhistes et où l'animisme est peut-être
aussi présent que chez les Wayãpi.
« Pourquoi protéger, soigner, aider
une population à l'expansion démographique
si l'on n'associe pas parallèlement sa sauvegarde
culturelle et son équilibre économique ? »
Brigitte Dillies Flautre, Bilan
sanitaire d'une communauté amérindienne du
Haut Oyapock (Guyane), Thèse de médecine
1985 Rouen. |
|
|
Les langues |
• La langue maternelle
est le wayãpi pour les Wayãpi, le teko pour
les Teko. Entre ces deux langues, bien qu'elles appartiennent
à la même famille tupi-guarani, l'intercompréhension
est médiocre. Il existe quelques couples bilingues,
toujours par mariages interethniques.
• Le créole guyanais chez les Amérindiens
du Haut Oyapock, le créole de Saint-Georges (sans
doute mâtiné de portugais) est parlé
par un grand nombre d'hommes et quelques femmes. (Le créole
guyanais est la langue vernaculaire sur le littoral, langue
du petit commerce, et désormais de certaines émissions
radio et télévisées. Dans les villes
du littoral sont aussi parlés les créoles
martiniquais, guadeloupéen, haïtien, surinamien.)
• Le français, langue de l'école,
de l'administration, de la radio et de la télévision,
n'est, en ce qui concerne les
|
Amérindiens du Haut Oyapock,
maîtrisé que par une minorité : ceux
qui sont partis étudier à Saint-Georges.
Au Centre de Santé
80 % des consultants sont des mères et de jeunes enfants,
comme partout en zone tropicale. Ni les uns ni les autres
ne parlent plus de dix mots de français.
Le médecin et l'infirmière ne parlent que le
français. J'ai pu heureusement recruter une agent de
santé amérindienne trilingue (wayãpi,
teko, français). « La Métropole »,
« La France », « les Français »,
« les Indiens » • « Métropole »,
employé par les gendarmes, est le terme légal
• Cependant « France » est,
pour désigner la métropole, le terme employé
par tous les autres : Amérindiens ou instituteurs
qui parlaient par exemple de ceux qui sont venus pour « toucher
la prime qui permettra de se faire construire une maison en
France »
|
• « Français »
est le terme employé par tous les Amérindiens
pour désigner les métropolitains • « Amérindien»
est le terme scientifique et officiel. Le terme « Amérindien »,
n'est pas utilisé par ceux-là même qu'il
désigne, mais supprime l'ambiguïté
d'« Indien ». Autre façon de
supprimer l'ambiguïté : ajouter un nom tribal
ou géographique, par exemple : « les
Indiens Lakota », « les Indiens du Pérou ».
• « Indien »
est certes ambigu puisqu'il désigne aussi les habitants
de l'Inde. Il est très méprisant dans la bouche
d'un caboclo et hélas de bien des métropolitains
de Camopi. J'ai cependant observé que ce mot est celui
employé par les Indiens du Haut Oyapock eux-même,
avec une connotation très positive : « Nous,
les Indiens, nous aimons que... , nous n'aimons pas que... »
ou : « Ca, c'est un joli nom indien. Un joli
prénom indien. ». |
|
|
L'ivresse |
Ivresse festive traditionnelle
« Toute la journée se passe à
dancer. Une partie des femmes s'amuse cependant à
chauffer leur breuvage, qui est leur principal office. »
Montaigne, Essais, Livre I, 31, 1580
Les danses traditionnelles sont devenues rares, je n'en
ai vu aucune, mais Montaigne serait sans doute amusé
d'apprendre qu'elles reviennent modernisées grâce
au revenu minimum d'insertion (RMI), bien nommé
puisqu'il permet de descendre au bas de la rivière
jusqu'à Saint-Georges de l'Oyapock et d'y acheter
de très puissantes chaînes Hi-fi. Fort intéressé
par les Amérindiens, Montaigne rencontra et interrogea
à Rouen trois d'entre eux, peut-être serait-il
rassuré de savoir que les femmes passent toujours
une grande partie de la journée à préparer
le breuvage qui, sur l'Oyapock a pour nom « cachiri »
et titre entre 2 et 3,5 degré d'alcool. Préparé
à partir de manioc amer, de manioc doux (très
peu toxique, également nommé cramanioc),
ou d'igname. De goût aigrelet, ou délicieusement
doux pour le cachiri de cramanioc. Le manioc est
une plante d'origine américaine qui fût adoptée
en Afrique après Christophe Colomb.
« Tous les hommes d'un village ou de plusieurs
s'assemblent ordinairement pour boire (ce qu'ils ne font
pas pour manger) » Jean de Léry
« Histoire d'un voyage faict en la terre
du Brésil »
Cela se passe toujours ainsi, à l'importante différence
près qu'aujourd'hui, pour ce que j'ai vu, les femmes
aussi sont présentes pour boire, on voit même
un banc pour elles, un deuxième banc pour les hommes
jeunes, et un troisième pour les hommes mûrs,
le tout formant un carré au milieu duquel circulent
les enfants. Seules les femmes offrent la boisson.
Aztèques
Il existe chez les Amérindiens du Haut
Oyapock une culture de l'ivresse, recherchée pour
ses effets euphorisants et conviviaux, bien décrite
et analysée comme ciment de la vie sociale (Grenand).
Les Amérindiens, sur toute l'étendue du
continent américain, sont très alcoolophiles
et ceci ne date pas de l'arrivée des Européens :
le « Manuscrit
|
Badianus », également connu sous le
nom de “Libellus de Medicinalibus Indorum Herbis”
et “L'histoire de la Nouvelle Espagne” du
Frère Bernardino de Sahagún décrivent
les problèmes posés par l'abus de boissons
alcoolisées chez les Aztèques ainsi que
les peines mises en place par les autorités aztèques
dans l'espoir de contrôler la situation (Calderón
Narvaez).
Du cachiri à « l'eau de feu »,
de l'ivresse à la dépendance
« Atala me tendit la main avec un
sourire : « Il faut bien, dit-elle, que
je vous suive, puisque vous ne voulez pas fuir sans moi.
Cette nuit, j'ai séduit le jongleur par des présents,
j'ai enivré vos bourreaux avec de l'essence de
feu, et j'ai dû hasarder ma vie pour vous puisque
vous aviez donné la vôtre pour moi. »
(... ) L'ivresse qui dure longtemps chez les sauvages
(... ) les empêcha sans doute de nous poursuivre
durant les premières journées »
Chateaubriand « Atala ou les amours
de deux sauvages dans le désert », chapitre « Les
Chasseurs »
Le cachiri (mot pris au sens de boisson) titre environ
3 degrés, mais l'Oyapock vit une époque
où, dans les cachiri (mot pris au sens de fête)
peuvent circuler, passées les premières
heures, des bouteilles d'alcools forts titrant 50°...
Comment ne pas penser au destin des Indiens d'Amérique
du Nord ? Le contact avec les alcools des Blancs
survint très tôt puisque c'est en 1791 que
François René, qui parle déjà
d'« essence de feu », s'est embarqué
pour l'Amérique.
Je ne crois pas qu'il existe de dépendance au cachiri,
mais cela mérite d'être vérifié.
Je n'ai pas observé d'alcoolisme suicidaire ni
d'ivresse pathologique : hallucinatoire, délirante,
convulsivante, coma éthylique. Cependant j'ai vu
des lendemains de cachiri où un village était
étonnamment calme et ses habitants étonnamment
« vaseux ». Par contre, j'ai vu
un cas de dépendance à l'alcool, un homme
qui boit tous les jours des alcools forts, ne peut s'arrêter,
ne se nourrit pratiquement que d'eux. Agé d'une
cinquantaine d'années, sans faciès éthylique,
risée de toute la population pour être ivre
à peu près en permanence. J'ai entendu parler
|
de deux ou trois autres cas,
mais comme partout ailleurs, les alcoolo-dépendants
ne viennent jamais consulter. Pour l'instant la situation
est heureusement très « en retard »
sur celle des réserves d'Amérique du Nord où
les Cheyennes comptent 60 % d'alcooliques dépendants
(Krier). «
D'autres reconnaissaient que probablement l'Indien mourrait ;
mais on lisait sur leurs lèvres cette pensée
à moitié exprimée : « Qu'est
ce que la vie d'un Indien ? » C'était
là le fond du sentiment général. Au milieu
de cette société si policée, si prude,
si pédante de moralité et de vertu, on rencontre
une insensibilité complète, une sorte d'égoïsme,
froid et implacable lorsqu'il s'agit des indigènes
de l'Amérique. Les habitants des Etats-Unis ne chassent
pas les Indiens à cor et à cri comme le faisaient
les Espagnols du Mexique. Mais c'est le même sentiment
impitoyable qui anime ici ainsi que partout ailleurs la race
européenne. Combien de fois dans le cours de nos voyages
n'avons nous pas rencontré d'honnêtes citadins
qui nous disaient le soir tranquillement assis au coin de
leur foyer : « Chaque jour le nombre des Indiens
va décroissant. Ce n'est pas pourtant que nous leur
fassions souvent la guerre, mais l'eau de vie que nous leur
vendons à bas prix en enlève tous les ans plus
que ne pourraient faire nos armes. Ce monde-ci nous appartient,
ajoutaient-ils ; Dieu en refusant à ses premiers
habitants la faculté de se civiliser, les a destinés
par avance à une destruction inévitable. Les
véritables propriétaires de ce continent sont
ceux qui savent tirer partie de ses richesses. »
Satisfait de son raisonnement, l'Américain s'en va
au temple où il entend un ministre de l'Evangile lui
répéter que les hommes sont frères et
que l'Etre éternel qui les a tous faits sur le même
modèle, leur a donné à tous le devoir
de se secourir. » Tocqueville « Quinze
jours dans le désert américain »
1860 De l'alcoolisme à la malnutrition
Cela a été décrit en Guyane sur le fleuve
Maroni où le problème touche les enfants amérindiens
des villages proches du Bourg de Maripasoula, alors que les
villages éloignés sont bien moins atteints. |
|
|
Le tabac |
Lorsque j'étais
à Trois Sauts il ne se passait guère de temps
sans que l'on m'appelle par mon nom indien : « Takurou !
Viens fumer un tawali ! ». J'acceptais bien
volontiers... alors, dans la case, quelqu'un sortait une
feuille de tabac de forme hélicoïdale longue
de huit centimètres, l'enroulait de l'écorce
d'un arbre nommé « tawali »,
puis fixait le tout |
en nouant un fil aux deux extrémités.
Le goût était excellent, plus parfumé
que celui de la cigarette ou du cigare.
A Camopi, les occasions de fumer le tawali étaient
beaucoup plus rares qu'à Trois Sauts, cela m'est
arrivé une fois au cours d'un cachiri grâce
à un ancien. Incomparable à la métamorphose
qu'il a connue dans cet orient des « Indiens »,
|
dont les habitants sont plaisamment
nommés « Occidentaux », l'usage
du tabac sur le Haut Oyapock semble essentiellement convivial.
J'ignore, n'ayant jamais posé la question, s'il lui
est encore prêté des vertus curatives ou magiques.
Je n'ai pas observé de dépendance au tawali. |
|
|
Interdit sur l'Habillement Traditionnel
|
Lorsque les Amérindiens descendent en bas de la
rivière jusqu'à Saint-Georges de l'Oyapock,
ils doivent se plier à un arrêté municipal
qui interdit l'habillement traditionnel. Alors tous se
couvrent placidement de maillots de football, tee-shirts,
fripes des plus variées... Les Amérindiens
sont méprisés à Saint-Georges de
l'Oyapock comme à Cayenne.
« Mais les colons s'indignaient de voir
un Indien nu, si bien qu'aujourd'hui, nous nous tenons
loin de la rive du fleuve » Chiparopai,
Indienne Yuma citée par Bedetti «
Les Secrets des Indiens
|
d'Amérique » Ed. de Vecchi,
1999. Au « Home Indien », institution
religieuse catholique qui assure aux enfants amérindiens
scolarisés à Saint-Georges de l'Oyapock,
un toit, un couvert et d'efficaces – trop efficaces ?
- répétitions de français, les enfants
portent tous les mêmes couleurs :
tee-shirt beige et blue-jean bleu.
J'ai observé que chaque femme teko porte un soutien-gorge
et que toute femme wayapi a la poitrine découverte.
Françoise Grenand l'explique par le fait que les
Teko ont depuis plus longtemps été en contact
avec les Européens.
|
Lorsqu'ils sont dans leurs
villages, les enfants avant dix ans, les adultes et les
femmes s'habillent traditionnellement. Enfants comme adultes portent
la camisa pour les femmes, le kalimbé pour les hommes.
Les femmes ont depuis longtemps l'habitude de commander
des accessoires grâce au catalogue de vente par correspondance
de La Redoute, via la poste, il en existe une à Camopi
mais pas à Trois Sauts. Par contre adolescents et
quelques jeunes adultes préfèrent les tenues
du littoral, paradent avec le dernier tee-shirt à
la mode, maillot de football voyant, chaussures de sport
dernier cri. |
|
|
Peintures Corporelles |
« La
parure masculine la plus commune est cette auréole
de duvet qui allie le jaune de la gorge et le rouge du croupion
du toucan au noir du poitrail de l'agami (... ) les jours
de fête il serait presque indécent de paraître
sans être maquillé » J.M.
Hurault, F. et P. Grenand, Indiens de Guyane, Wayana et
Wayampi de la forêt
J'ai observé que :
- il n'y a quasiment plus de fêtes avec parures, chacun
va au cachiri habillé comme tous les jours sauf parfois
génipa et roucou ; les parures faites avec des
plumes ont presque toutes été vendues à
des métropolitains qui voulaient rapporter un souvenir
(c'est la chasse aux oiseaux qui procure des plumes pour
les
|
parures).
- le génipa est très employé par les
enfants, plus encore pendant les vacances scolaires, à
Camopi autant qu'à Trois Sauts, moins souvent par
les adultes ; ce ne sont pas des peintures très
élaborées ou très étendues sur
tout le visage ou la moitié du corps comme dans des
tribus brésiliennes contactées depuis peu ;
il s'agit de motifs géométriques simples sur
une partie du visage et la poitrine.
- le roucou est parfois employé à Camopi,
très souvent à Trois Sauts ; il s'agit
d'un mélange de couleur rouge dont on s'enduit la
peau pour des raisons esthétiques et pratiques :
il est censé |
éloigner les insectes.
(L'expression « Peau Rouge » ne vient
pas du roucou mais d'une autre teinture de même couleur,
probablement d'origine minérale, employée par
les Indiens du Canada où cette expression est apparue.)
« Nos Brésiliens
se bigarrent souvent le corps de diverses peintures et couleurs :
mais surtout ils se noircissent ordinairement si bien les
cuisses et les jambes du jus d'un certain fruit qu'ils nomment
Genipat (... ) ils ne la peuvent effacer de dix ou douze jours »
Jean de Léry, Histoire d'un voyage faict en la terre
du Brésil, chapitre VIII |
|
|
Famille |
Les adolescentes
de Camopi, mais pas de Trois Sauts, se maquillent avec
des produits modernes, rouge à lèvres, fond
|
de teint,
etc. sans lésiner sur les quantités et ce
dès l'âge de douze ans, ce qui est logique
lorsque l'on sait
|
qu'elles deviennent mères
vers l'âge de quinze ans, aujourd'hui comme hier. |
|
|
Contacts des Amérindiens
avec les chercheurs d'or brésiliens (garimpeiros) |
Il m'était
difficile avec mon pauvre portugais d'aller étudier
le paludisme et les toxicomanies chez les garimpeiros si
tant est qu'ils aient bien voulu m'embaucher comme « medico ».
Heureusement j'avais quelques repères grâce
à un document peu ordinaire écrit par un Français
qui fut garimpeiro de 1984 à 1990 en Amazonie dans
l'Etat du Rondonia (Etat d'Amazonie brésilienne,
frontalier de la Bolivie). Voici ce qu'il raconte sur la
cocaïne : « Il faut que je me rende
à l'évidence : maconha, ou coca, mes
ouvriers ne sont pas les derniers à absorber leur
dose journalière (... ) tous les prétextes
sont bons pour l'évasion (... ) le rêve concentré
en poudre n'est pas |
cher, même
pour un opérateur. La drogue circule partout sur le
fleuve. Chaque drague est capable de fournir une reposition
(... ) on peut aussi s'en procurer sans difficulté
dans les bars »
Francis Pauly « O Garimpeiro »
1991. C'est clair : la toxicomanie à
la cocaïne était banale chez les garimpeiros
lors de la ruée vers l'or des années
1980 au Rondonia. Ceci jusqu'à leur départ,
chassés par l'armée brésilienne ou
par l'épuisement des filons. On peut supposer que
cette toxicomanie s'est conservée chez ceux qui écument
actuellement Guyane française (sur l'Oyapock, la
Sikini, le Maroni), Surinam et Venezuela, et dont bon nombre
sont à
|
mon avis des anciens du Rondonia.
Le Brésil est le deuxième consommateur mondial
de cocaïne après les USA. Souvent liés
à des affaires de drogue ou passionnelles, les meurtres
ont été hebdomadaires voire quotidiens à
Villa Brasil même ! Depuis début 1999
environ, l'armée brésilienne s'y est installée,
ce qui a partiellement calmé le jeu à Villa
Brasil, mais pas sur la rivière Sikini, on m'amena
un jour un garimpeiro grièvement blessé à
coups de machette par sa propre épouse, il avait
trois plaies pénétrant jusqu'à la boîte
crânienne et aussi larges que la tête... (cf.
aussi ci-dessus « Présence du Neuropaludisme
chez les non-Amérindiens ») |
|
|
Contacts des Amérindiens
avec les Métropolitains |
Ethnocentrisme
(cf. Glossaire)
D'emblée j'insiste sur ce point : ni les instituteurs
ni les gendarmes ne sauraient être montrés
du doigt pour leur ethnocentrisme. Il s'agit d'une attitude
universelle, hélas. Le recrutement n'est pas adapté
et cela aggrave le problème. Assez désabusés,
des instituteurs me prévinrent : « Tu
verras, beaucoup de nos collègues se désintéressent
complètement des Indiens, ce sont des « planqués »,
ils ne sont là que pour toucher la prime qui leur
permettra de se faire construire une maison en France, pour
d'autres la Guyane est un enfer nécessaire avant
l'espoir d'une nomination en Polynésie ».
Je devais me rendre compte que pour certains, c'était
vrai. Résigné, j'entendais des jugements
parfois naïvement positivistes : « Les
Indiens sont des paresseux, des voleurs et des ivrognes »,
« Il faut les avoir à l'œil »,
« Les chamanes ne pensent qu'à l'argent »;
parfois naïvement rousseauistes : « D'ailleurs
il n'y a plus de chamanes », « Il
aurait fallu venir il y a cinq ans, c'était bien
avant, ils n'étaient pas encore pourris ».
A Camopi le pain est la cause de conflits : le mari
d'une institutrice voulait monter une boulangerie. Le conseil
municipal s'y est opposé et a eu gain de cause. Après
mon départ les métropolitains qui tenaient
impérativement à avoir du pain ont gagné :
un avion leur en apporte deux fois par semaine.
A mon retour en métropole la lecture d'un roman,
portrait d'enseignants partis travailler au loin (Tunisie),
me fit retrouver bien des points communs : la grisaille
quotidienne qui colle à la vie, dont on ne sait comment
se débarrasser et que l'on a comme transportée
avec soi, le vide, l'incompréhension mutuelle avec
les autochtones, l'ethnocentrisme, le tiers colonial (c'est
une prime), la permanente frustration, le sentiment de ne
recevoir que des miettes, le terre à terre, la renonciation
aux enthousiasmes et |
idéaux
de la jeunesse. Ce roman est « Les Choses »
de Georges Perec. Je le remercie au passage d'appuyer ma
démonstration pour un meilleur recrutement.
Nulle mauvaise humeur par contre chez ceux qui se liaient
de confiance voire d'amitié avec des Amérindiens.
On est admiratif devant les instituteurs qui apprennent
le wayãpi, ceux qui partent dès qu'ils le
peuvent en expédition de chasse, celle qui dans sa
classe fait venir une vieille Indienne pour qu'elle raconte
l'histoire de la tribu et du monde.
Cet enfant sait déjà ligaturer et poisser
une empenne (de flèche), équarrir une pagaie,
dégauchir un banc, entrelacer les brins d'un ou deux
points de vannerie (... ) pour les gros ouvrages, tressage
de la presse à manioc, creusement et brûlage
d'un canot ou encore édification d'une maison, il
peut attendre d'être fiancé. L'enfance s'éternise
ainsi en une licence de mouvements, une liberté d'entreprendre
et une audace calculée qui en font de jeunes êtres
d'une farouche indépendance et d'une surprenante
liberté. Là réside d'ailleurs le secret
de leur éducation dont nulle école occidentale
ne pourra égaler les mérites »
J.M. Hurault, F. et P. Grenand « Indiens
de Guyane, Wayana et Wayampi de la forêt »
préfacé par C. Levi-Strauss, Ed. Autrement,
1998
Quant aux gendarmes, l'ethnocentrisme était, chez
l'un, franc et massif : « Il va falloir qu'ils
arrêtent leurs conneries » était
son commentaire rituel sur les coutumes amérindiennes.
Un autre était souvent habillé en Indien d'où,
dans son dos, le sourire goguenard de ses piroguiers Wayãpi.
Ce n'est qu'après une forte absorption d'alcool qu'il
me dit à la fin d'un déjeuner sa lassitude
des Indiens, sa haine des « romanos »,
sa fierté d'avoir eu une médaille pour avoir
repêché dans la rivière un « Indien
bourré dont je n'ai rien à foutre »,
sa fierté
|
d'être passé
à la télévision en métropole dans
un reportage de cinq minutes où il expliquait que vivre
chez les Indiens, « c'est vraiment formidable
». Encore sous les pales de l'hélicoptère,
venu pour une évacuation sanitaire un médecin
me dit avec élégance : « C'est
joli ce coin où tu es. Alors comment vont les Indiens ?
Je sais ils b... toujours comme des lapins ».
Un préjugé de plus. Je me tais et pense
au mépris avec lequel un des anciens regarde les Blancs.
Conflits
Les conflits intra-communautaires dans les petites communautés
humaines isolées ont été étudiés
(Rivolier J.). Le confinement, associé à la
présence d'une seule personnalité paranoïaque,
suffit à provoquer la désignation d'un ou plusieurs
boucs émissaires. Un cosmonaute a pu dire que dans
un véhicule spatial « toutes les conditions
sont réunies pour que soit commis un meurtre ».
Les métropolitains sont 15 à Camopi. Leurs conflits
sont violents et de trois types : • 1.
Entre gendarmes. • 2. Entre légionnaires
et gendarmes. • 3. Entre instituteurs :
le conflit portait sur l'utilisation d'un téléphone
satellite prodigué par l'Education nationale. Les instituteurs
de Camopi connaissaient deux conflits permanents :
• 1. la hiérarchie de l'Education nationale
(le rectorat de Cayenne) • 2. les Indiens
(parents d'élèves, mairie et Indiens pris en
général).
Heureusement à Trois Sauts les choses se passaient
bien. Les métropolitains étaient 7 : 6
instituteurs et 1 infirmier. Le seul conflit concernait les
bonbons : une institutrice était la seule personne
distribuant des bonbons aux enfants, continuant obstinément
à le faire malgré les objurgations répétées
de l'épouse du directeur de l'école, une Indienne
Palikour, qui lui répétait en vain : « Ne
donne pas de bonbons, tu leur abîmes les dents et tu
leur apprends à mendier ».
|
|
|
Contacts des Amérindiens
avec les Créoles |
Ils ne sont
que 4 permanents :
- à Camopi : 1 institutrice et 1 employé
|
municipal.
- à Trois Sauts : 1 directeur d'école
et
|
1 instituteur.
Leur attitude est exemplaire. |
|
|
Contacts des Amérindiens
avec les Touristes |
Point très
positif, pour l'instant, le tourisme n'existe pas sur le
Haut Oyapock. Il faut louer l'arrêté préfectoral
de 1971 qui en limite l'accès aux militaires, instituteurs,
personnel de santé ou famille et amis dûment
munis |
d'une autorisation
préfectorale. Cet arrêté est très
critiqué, sa suppression est vivement souhaitée
sur le littoral par des élus, agences de tourisme,
hommes d'affaire du bois, de l'orpaillage ou du diamant.
Le tourisme a pris une forme
|
humiliante chez les Indiens
Wayana où, comme dans les réserves indiennes
nord-américaines, l'on demande de l'argent pour se
faire photographier avant de retourner vivre (ou se détruire
par l'alcool) dans sa roulotte déglinguée. |
|
|
L'argent, les allocations |
« L'Indien
ne connaît que le billet de un sucre. Un billet de
cent sucres, à la rigueur il le prendra pour deux
sucres. C'est la quantité de papier qui compte; aussi
faut-il des sacs pour mettre son argent »
Henri Michaux « Ecuador » p.138
La descente en pirogue jusqu'à Saint-Georges de l'Oyapock
permet d'aller chercher les enfants au « Home
Indien » (la pension chez les religieuses), de
toucher les allocations familiales, |
le RMI,
de faire des emplettes : perles, cartouches, essence,
alcool, chaînes HiFi. La durée de ce voyage
en pirogue est de cinq heures pour descendre, pour remonter
il faut environ deux heures de plus, selon le courant, bien
entendu plus fort en saison des pluies.
« Bon nombre de nos hommes
(... ) ne peuvent plus chasser, ne trouvent pas de travail
et sont donc dans l'impossibilité de subvenir aux
besoins de leur famille ; ils n'ont rien à faire.
Une femme par
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contre
peut toujours fabriquer des ouvrages en perle qu'elle vendra
aux touristes, poser pour ces mêmes touristes le long
de l'autoroute ou encore être femme de ménage
dans un motel ; de plus ce sont elles qui touchent les
aides sociales et il arrive que le mari ait à quitter
le domicile conjugal pour permettre à sa femme d'y
avoir droit »
Mary Brave Bird-Crow Dog, « Femme Sioux »
chapitre XV, Ed. Albin Michel, 1993 |
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Dernier combat : l'attaque de
Villa Brasil |
Un beau jour de l'été 1998, excédés
de se faire voler pirogues et moteurs, les
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Indiens de
Camopi ont pris leurs vieux fusils de chasse et sont partis
attaquer
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Villa Brasil. Ce fut un échec. |
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