waiampi wayapi et teko amérindiens menacés de la Guyane française
 
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La santé menacée des amérindiens Wayapi et teko
« A ce que m'ont dit mes témoins, il est rare d'y voir un homme malade ; et m'ont asseuré n'en y avoir veu aucun tremblant, chassieux, édenté, ou courbé de vieillesse (…) ils ont grande abondance de poisson et de chairs qui n'ont aucune ressemblance aux nostres» 
Montaigne  « Essais » (Livre I, 31), 1580
« Les sauvages de l'Amérique, habitans en la terre du Brésil, nommez Toüoupinambaoults, avec lesquels j'ay demeuré et fréquenté familierement environ un an, n'estans point plus grans, plus gros, ou plus petits de stature que nous sommes en l'Europe, n'ont le corps ny monstrueux ni prodigieux à
nostre égard : bien sont-ils plus forts, plus robustes et replets, plus disposts, moins sujets à maladie : et mesme il n'y a presque point de boiteux, de borgnes, contrefaits, ny maleficiez entre eux. »

Jean de Léry, Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil, 1578
la santé menacée des amerindiens
La menace du sida
Addition en septembre 2007 : la menace se précise chez les Amérindiens selon deux publications très récentes (cf. Bibliographie)
- en Amazonie péruvienne (haute prévalence dans une communauté pourtant isolée)
- chez les Amérindiens des USA
Quant au Brésil, autant il est exemplaire et est un modèle dans la moitié sud et développée du pays, autant l'Amazonie brésilienne paraît délaissée en terme de dépistage et de publications.  Au Brésil le taux de contamination est en deçà de celui de nombreux pays européens, dont l'Espagne et le Portugal. Mais, en dépit de campagnes d'information très vastes, 80 % des séropositifs au VIH au Brésil ignorent s'ils sont porteurs ou non du virus. "Fin de l'addition 2007"

• Aucun cas connu chez les Amérindiens du Haut Oyapock. Le système de surveillance repose sur le dépistage chez les femmes enceintes, le sérodiagnostic est assuré par le laboratoire départemental d'hygiène.
• Un  cas a été dépisté chez une péripatéticienne brésilienne de Villa Brasil en 1998, avant mon arrivée, elle était venue spontanément au Centre de Santé de Camopi demander le dépistage. Lorsqu'elle revint et apprit le résultat, sa réaction fut le déni, elle répéta que le résultat était faux; peu après elle avait quitté la région.
• En Amazonie brésilienne :
- deux cas de Sida ont été publiés en 1998 (Domingues) chez deux jeunes femmes amérindiennes près de la frontière du Surinam, dans un village de 707 Amérindiens, dont 52.5% avaient moins de 14 ans, où la prévalence des MST était élevée et dont un habitant était mort du Sida dans la période 1983-1996. Une autre étude a montré que les facteurs prédictifs des MST chez les Indiens Kaiapo au Brésil étaient :
  • les voyages vers la ville
  • les routes
  • l'exploitation forestière ou minière
  • l'apparence esthétique
  • l'éducation sanitaire
  • la délimitation des réserves (Tanaka).
  • Si l'on regarde Camopi avec ces critères, c'est inquiétant : la ville (Villa Brasil) n'est qu'à 5 minutes de pirogue, sur la rive d'en face, ses prostituées n'y ont aucune éducation sanitaire et sont fréquentées par les Indiens Wayãpi et Teko de la rive française, c'est une base d'exploitation minière : chercheurs d'or qui violent continuement la zone protégée par l'arrêté préfectoral.
    •  Le département français le plus touché est la Guyane. Je suppose qu'en Guyane les régions rurales sont moins touchées que les villes (au Brésil les régions rurales sont moins touchées que la ville de Manaus, elle-même moins atteinte que Rio de Janeiro et São Paulo où l'épidémie avait commencé. Mais les tendances sont maintenant à une extension vers les zones rurales, les femmes, les couches pauvres.
    la santé menacée des amerindiens
    Les Paludismes
    Neuropaludisme absent chez les Amérindiens, présent chez les Brésiliens
    • Pendant les 4 mois passés à Camopi, je n'ai observé aucun cas de neuropaludisme chez les Amérindiens, ce qui est inattendu (mais sur la même période, 3 cas chez les non-Amérindiens, c'est attendu et j'y reviendrai plus loin)
    • Quinze ans avant moi, le médecin en poste sur l'Oyapock (Brigitte Flautre) écrit seulement dans sa thèse de médecine : « le paludisme pernicieux est rare » sans précision ni sur le groupe ethnique, ni le nombre des cas, ni leur lieu. Or jusque vers 1990 le médecin était basé à Saint-Georges de l'Oyapock, en charge de tout l'Oyapock mais, du fait de l'éloignement ne venait qu'occasionnellement sur le Haut Oyapock.
    • J'ai longuement enquêté sur les années précédant mon arrivée : je n'ai trouvé qu'un seul cas, très discutable, il se produisit en février 1998 et fut évacué vers l'hôpital de Cayenne
    • J'ai interrogé mon successeur : en février 2000 il a évacué vers le Centre Hospitalier de Cayenne un nouveau-né, on aurait trouvé qu'il avait le paludisme et il est mort. Ce cas reste douteux étant donné que les médecins et internes du CH de Cayenne se plaignent du laboratoire : retards voire même impossibilités d'obtenir certains résultats, à cause de problèmes d'organisation et non de compétence des parasitologues.
    • L'incidence sur mes 4 mois de présence et sur les 2 années précédant mon arrivée est nulle (0/1050 = 0).
    Paludisme grave en dehors du neuropaludisme
    Je ne peux rien en dire, je ne disposais ni de biochimie, ni de radiographie pulmonaire.
    Fièvres
    Comme en Afrique, le paludisme est un diagnostic de facilité. Il existe une tendance du personnel médical sur le Haut Oyapock à considérer  toute fièvre comme un paludisme. La croyance des métropolitains atteints de fièvre était qu'ils « faisaient » ou « refaisaient » du paludisme . Pourtant, Antoine Talarmin, de l'Institut Pasteur de Cayenne, estime que sur le Haut Oyapock et le Haut Maroni, un tiers des fièvres sont dues à la Fièvre de Mayaro, les deux autres tiers étant dus à d'autres arboviroses très diverses, au paludisme, ou à d'autres causes parmi lesquelles je me demande quelle est la part des leptospiroses, dont on sait que 80% sont anictériques (Mailloux). Par chance j'ai pu mettre dans un petit avion les prélèvements sanguins d'un Amérindien et d'un Métropolitain qui avaient le même jour 40° de fièvre et l'inébranlable certitude qu'ils étaient en train de « refaire du paludisme », ils me demandaient de prendre de l'halofantrine, comme ils en avaient l'habitude depuis des années en pareil cas. Quel ne fut pas leur étonnement d'apprendre que les frottis et gouttes épaisses pratiqués à l'Institut Pasteur étaient négatifs !
    Accès palustres
    J'ai trouvé au frottis sanguin (je ne tiens compte ici que des Amérindiens) :
    - 7 fois des trophozoïtes de P.Falciparum  (âges : 25, 23, 16, 13, 8, 5 ans, 2 ans et 6 mois) (températures comprises entre 38°6 et 40°)
    - 1 fois des trophozoïtes de P.Falciparum  avec possibles trophozoïtes de P.Vivax (âge : 4 ans)
    (fièvre fluctuante)
    - 3 fois des trophozoïtes de P.Vivax  (âges :  11, 6 ans, 3 ans et 6 mois)
    (températures : fièvre non mesurée, 37°6, 37°4)
    Ces chiffres couvrent une période trop brève pour calculer une incidence significative, car à mon arrivée toute l'optique du microscope de Camopi, laissé sans protection, était « champignonnée ». Dans cet univers saugrenu un microscope dans lequel on ne voyait plus que des filaments, ne gênait pour faire des « diagnostics » de paludisme ni mes prédecesseurs, ni l'infirmier de Trois Sauts lorsqu'il passait à Camopi. Pour trouver une personne capable de faire ce nettoyage très délicat, il fallut un mois et demi ; à plusieurs reprises je fis le voyage de Cayenne, ce qui prend deux jours aller (pirogue, piste, avion), idem pour le retour...
    Splénomégalies
    J'ai observé 9 splénomégalies chez des enfants :
    - le siège était, pour l'un des cas, si latéralisé à gauche que j'ai failli passer à côté lors de l'examen clinique, malgré une hauteur de 3 cm ; j'avais l'habitude de rechercher les splénomégalies en ne palpant que l'hypochondre ; depuis je palpe systématiquement l'hypochondre et le flanc.
    - la hauteur variait entre 1 et  4 cm, elle était proportionnelle à l'âge (sauf un cas : 4 cm de hauteur, 8 cm de largeur, à 15 mois)
    - l'âge variait entre 15 mois et  6 ans et 5 mois, l'âge moyen était 3 ans et 4 mois. J'ai observé 1 splénomégalie chez l'adulte :
    - un homme de 40 ans environ vivant à Village Kapou sur la rivière Camopi
    - un Wayãpi maire de Camopi, est mort en 1992 à l'hôpital de Cayenne d'une rupture de rate, selon une rumeur, il aurait été « piaillé » (expression locale pour dire empoisonné, ensorcelé). En 1964 Cabannes, Larrouy et Ruffié avaient examiné toute la population qui s'était présentée :
    - l'indice splénique était de 16,2 %,  les splénomégalies étaient plus fréquentes et plus volumineuses chez les adultes que chez les enfants.
    Je ne l'ai pas fait, mais il serait souhaitable de refaire une enquête d'indice splénique, à l'école et dans les carbets (maisons).
    Schéma thérapeutique

    L'expérience des tropiques apprend que le paludisme est une parasitose avant d'être une maladie. Des études ont montré que la majorité de la population est parasitée (Druilhe), il peut y avoir plus d'inconvénients que d'avantages à modifier la relation complexe hôte-parasite par les traitements ou les moustiquaires, il est nécessaire d'évaluer ces inconvénients et avantages pour l'hôte.
    Je considérais que :
    - positif, le frottis signifiait accès palustre (à P. vivax ou P. falciparum) ; étant donné sa sensibilité 100 fois plus faible que la goutte épaisse
    - négatif, il nécessitait d'être répété en fonction de la clinique
    Cependant, du fait de l'absence de neuropaludisme je tentai au bout de deux mois de ne plus traiter systématiquement par antipaludiques les frottis faiblement positifs, chaque fois qu'une surveillance étroite était possible. Les résultats furent satisfaisants. Je traitais systématiquement la fièvre par du paracétamol, auquel j'ajoutais :
    - accès palustre + patient ne pouvant être surveillé + P. falciparum au frottis à halofantrine
    - accès palustre + patient ne pouvant être surveillé + P. vivax au frottis à chloroquine 
    - splénomégalie infantile  + P. falciparum au frottis à sirop d'halofantrine (excellents résultats)
    - splénomégalie infantile  + P. vivax au frottis à sirop de chloroquine
    - neuropaludisme (ce n'était jamais un Amérindien ) à quinine (sans autres antipaludiques) 
    Présence du Neuropaludisme chez les non-Amérindiens
    « Le sol de tous les bois abandonnés à eux-mêmes est en général marécageux et malsain ; l'émigrant qui s'expose aux misères de la solitude n'a-t-il du moins rien à craindre pour sa vie ? - Tout défrichement est une entreprise périlleuse, repartit l'Américain. Et il est presque sans exemple que le pionnier ou sa famille ait échappé pendant la première année à la fièvre des bois. Souvent quand on voyage dans l'automne, on trouve tous les habitants d'une cabane atteints de la fièvre depuis l'émigrant jusqu'à son plus jeune fils »  Tocqueville, Quinze jours dans le désert américain, 1860
    • J'ai observé 3 neuropaludismes ; tous chez des Brésiliens : 2 étaient garimpeiros (orpailleurs), 1 était boucher à Villa Brasil. Hélas le nombre de garimpeiro est inconnu… Je suis donc incapable de calculer l'incidence du neuropaludisme chez eux. • « L'usine  à résistance » : Villa Brasil. Le village de Villa Brasil, situé à 300 mètres en face de Camopi (de l'autre coté du confluent de l'Oyapock et de la Camopi), ainsi que les chantiers et barges d'orpailleurs brésiliens sur les rivières, sont de véritable "usines" à fabriquer du paludisme résistant. Le mécanisme est le même que chez les mineurs de la forêt entre Thaïlande et Cambodge : les malades prennent des doses anarchiques et pendant des durées anarchiques, d'où une pression médicamenteuse très forte (Verdrager).
    • Le 21 décembre 1999, ses camarades de travail déposent sur un dégrad (débarcadère) de Camopi un garimpeiro allongé et comateux et, comme d'habitude, les hors-la-loi s'enfuient aussitôt dans leur pirogue à pleine vitesse, de peur d'un contrôle de gendarmerie. Au Rondonia (Amazonie brésilienne proche de la Bolivie) les garimpeiros ne procédaient pas autrement : ils déposaient un malade au portail de l'hôpital de Porto Velho, ville alors célèbre dans tout le Brésil pour être la « capitale du paludisme », et leur voiture s'enfuyait.  Revenons à Camopi. Ce 21 décembre on sait seulement qu'ils viennent de la rivière Sikini, affluent d'aval envahi de nombreuses barges de garimpeiro en situation illégale puisqu'en territoire français (cf. carte). Le malade est brancardé jusqu'au centre de santé. Le frottis sanguin montre des trophozoïtes de P. falciparum. Une fois sorti du coma grâce à la quinine seule, l'homme reste tout le jour assis au bord de notre lit d'hospitalisation, il est sur le qui vive, il a peur, il ne répond pas à mes questions « Como esta ? Ta melhor ? Ta bom ? ».
    La nuit tombée il guette la rivière.
    Est-ce la
    peur d'une vengeance ? De
    s'être fait voler ses papiers ? Son or ? Sans doute d'être emprisonné au poste des gendarmes français, puis refoulé. Tout le monde sait que la frontière est une passoire facile à refranchir, tout le monde sauf peut-être lui, rongé d'angoisse de voir filer la chance, pour s'en retourner battre la semelle dans les rues de Macapa, Recife ou Salvador de Bahia… Le lendemain matin il a disparu.
    • chez les métropolitains : pas de neuropaludisme, seulement des fièvres dont certaines étaient des accès palustres à P. vivax ou P. falciparum
    Discussion
    1 • Comment expliquer cette incidence nulle du neuropaludisme ?
    1° hypothèse :  biais de recrutement : c'est classique, mais cette région du monde, seul département français où sévit le paludisme est un cas très particulier : il est quasiment impossible qu'un neuropaludisme survienne sans que le médecin en soit informé parce qu'un malade grave de ce type sera toujours emporté par sa famille en pirogue jusqu'au centre de santé (ou directement chez le médecin si c'est la nuit), même si le cas survient dans l'un des villages teko les plus en amont, à 1 heure de pirogue du centre de santé (cf. carte).
    2° hypothèse : un faible niveau de transmission (mais suffisant pour expliquer le neuropaludisme chez les garimpeiros)
    3° hypothèse : le diagnostic et traitement précoce des accès palustres, mais à quel point est-ce vrai ? Comme partout, l'auto-traitement est pratiqué mais est-ce avec des plantes ? Avec la chloroquine ? Avec l'halofantrine ? Cette dernière est en vente libre chez les garimpeiros… Il faudrait une étude sur ce sujet. Je précisais que les villages teko les plus en amont sont à 1 heure de pirogue du centre de santé : c'est proche pour un coma fébrile mais c'est loin pour un banal accès de fièvre, on ne va pas voir le médecin. Il faudrait étudier, en fait de traitement précoce, quelle est la part des plantes traditionnelles. A ce propos, le quinquina n'est pas comme on le dit, une invention des espagnols ou des jésuites, mais des Amérindiens d'Amazonie bolivienne.
    4° hypothèse : l'hypothèse génétique; pour la tester il faudrait comparer Amérindiens, Caucasiens et métis, quand les uns et les autres descendent des Andes vers l'Amazonie. Le neuropaludisme serait courant chez les Indiens Oro-Wari (Rondonia, Brésil)
    5° hypothèse : l'immunité acquise, à ce propos, les Khmers Rouges, natifs des forêts comme les Wayãpi, souffraient semble-t-il peu du paludisme contrairement aux populations qu'ils déportèrent de Phnom Penh ou des rizières, vers les lisières de forêt.
    6° hypothèse : protection croisée avec le P.Vivax .
    7° hypothèse : la large diffusion de moustiquaires épaisses : elles sont faites en drap épais et non en voile. Elles ne sont pas imprégnées.
    8° hypothèse : le temps de veille nocturne, les Amérindiens se couchent tôt, peu après le soleil, sauf les soirs de cachiri, alors qu'une barge de garimpeiros peut travailler toute la nuit. 2 • Comment expliquer cette très large diffusion des moustiquaires sur le Haut Oyapock ?
    Ce goût pour les moustiquaires est surprenant quand on arrive d'Afrique, où l'observance, est souvent interdite par le coût, la chaleur qui rend toute moustiquaire insupportable et par une éducation sanitaire parfois peu efficace car unidirectionnelle.
    1° hypothèse : les Amérindiens utilisent les moustiquaires car les nuits sont fraîches en forêt  équatoriale (africaine, amazonienne ou autre) contrairement aux nuits étouffantes sur les côtes, Cayenne par exemple. C'est l'explication que donnèrent les Amérindiens lorsqu'ils adoptèrent les moustiquaires il y a quelques années. Autre argument : alors que pour arreter les moustiques un voilage suffit, leurs moustiquaires ont la grande originalité d'etre en toile épaisse…
    2° hypothèse : les Amérindiens utilisent les moustiquaires pour se protéger des chauve-souris. On retrouve l'argument : leurs moustiquaires sont en toile épaisse.
    3° hypothèse : les Amérindiens utilisent les moustiquaires parce que leur niveau de vie leur permet d'en acheter.
    4° hypothèse : les Amérindiens utilisent les moustiquaires parce qu'elles assurent l'intimité du dormeur ou du couple. A rapprocher d'une anecdote : en Gambie, un musulman dont les quatre femmes partageaient la même chambre reçoit la visite de personnes chargées de promouvoir les moustiquaires. Plus tard on découvre ce que ni les ethnologues, ni les médecins de l'équipe ne pouvaient prévoir : les femmes ont adopté les moustiquaires au delà de toute espérance, surtout la plus jeune, la plus désireuse de s'isoler des tracasseries des autres.
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    Les autres maladies transmissibles
    Absence de la leishmaniose en tant que problème de santé publique
    J'ai vu 4 cas de leishmaniose cutanée : 2 chez des Amérindiens, 1 chez une Amérindienne, 1 chez un Brésilien.
    Le siège était toujours périphérique : 3 fois à la cheville, 1 fois au poignet. Le diagnostic était évident cliniquement.
    L'évolution m'a frappé : je n'ai vu aucun cas guérir ; soit parce que les patients n'y prêtaient que peu attention (cas de 2 Amérindiens adultes), soit parce que l'affection résistait à des tentatives par la pentamidine, mais tentatives « sauvages » et mal conduites (cas d'un Amérindien de 18 ans et d'un Brésilien).
    J'aurais eu l'occasion de pratiquer le « protocole de Pradinaud » si j'étais resté jusqu'au mois de mars, qui représente un pic d'incidence très net (Pradinaud).
    La leishmaniose ne m'a pas paru être un problème de santé publique sur le Haut Oyapock car elle représente :
    - une « morbidité esthétique » rare et mineure, puisqu'elle atteint les membres alors que la leishmaniose cutanée de l'Ancien Monde frappe à la face et stigmatise tant de citadins à Kabul, Ispahan ou Alep, d'où une terrible « morbidité esthétique » (si le lecteur veut bien accepter ce néologisme que je dérive de « morbidité ressentie »).
    - une mortalité nulle, à ce propos je n'ai pas vu de leishmaniose viscérale, forme répandue dans le Sertão brésilien. Je l'ai évoquée une fois parmi d'autres hypothèses devant une splénomégalie fébrile chez un enfant mais la fièvre a disparu après administration d'halofantrine, donnée parce que le frottis montrait des Plasmodium.
    Absence apparente d'autres maladies tropicales
    Je n'ai vu :
    - ni éléphantiasis,
    - ni lèpre, décrite dans une réserve indienne de Colombie (Cardona-Castro),

    - ni onchocercose, décrite chez les Indiens Yanomanis du Brésil.
    Absence apparente de Tuberculose
    • Aucun cas prouvé pendant ma présence
    • Un seul cas suspecté mais non prouvé car le laboratoire du CH de Cayenne ne ferait pas de mise en culture (à vérifier), mais qui s'est pourtant vu prescrire, au CH de Cayenne, à deux reprises un traitement antituberculeux sans preuve, avec une observance certainement inexistante étant donné qu'il s'agit d'un alcoolique notoire à Camopi
    • Un homme en serait mort à Trois Sauts, vers 1992-93
    • J'ai observé des facteurs protecteurs :
    - la très faible densité démographique
    - l'excellente ventilation de l'habitat amérindien traditionnel, malheureusement il existe des projets municipaux de logements modernes, moins bien ventilés.
    - la rareté des malnutritions
    - l'absence de froid
    • Je n'ai observé qu'un facteur de risque : la promiscuité, tous les hamacs sont côte à côte.

    Le silence des parasitoses digestives
    • Le bon état nutritionnel (sauf dysenterie) (cf. ci-dessous « Nutrition ») explique peut-être pourquoi les helminthiases sont bien supportées. On sait que la malnutrition est la première cause mondiale d'immunodépression (plus encore que le SIDA, c'est dire l'ampleur du problème). C'est par ce mécanisme que la malnutrition augmente l'incidence de la tuberculose et des helminthiases (et non du paludisme).
    Les parasitoses digestives ont fait l'objet d'une enquète de terrain à Trois Sauts en octobre 1999 (cf. bibliographie : Parasite. 2002 Jun;9 (2) :167-74) : la prévalence est élevée. Cela a déjà été montré au Brésil (y compris pour Capillaria) chez les Indiens Nadeb-Maku, Surui, Iaualapiti, Xavante, Nadeb-Maku et Karitiana (cf la base latino-américaine LILACS sur le site www.bireme.br).
    Les dysenteries du nourrisson sont, au contraire, un problème de santé publique
    • j'en ai observé 9 cas chez des nourrissons dont l'age s'étalait de 4 à 28 mois
    • les récidives n'étaient pas rares • il existe une tendance du personnel médical  sur le Haut Oyapock (comme partout dans le monde) à considérer toute dysenterie comme une amibiase, diagnostic de facilité classique dans tous les pays tropicaux. Donc formation nécessaire.
    • ces dysenteries résistaient très souvent à l'amoxycilline, au bactrim, aux imidazolés ; alors la céfazoline (Céfacidal®), céphalosporine de 1° génération, en venait rapidement à bout, mais avec deux inconvénients :
    - nécessité de la voie injectable (intramusculaire)
    - surtout : risque qu'un protocole  sélectionne des shigelles résistantes si les shigelles sont en cause
    • il serait très utile d'en savoir plus : quels sont les bactéries ou protozoaires le plus souvent en cause dans les dysenteries du Haut Oyapock ? leur antibiogramme ?
    • sur ces 9 cas, 3 présentaient un retard pondéral, ce qui nous amène au chapitre suivant.
    la santé menacée des amerindiens
    Nutrition

    retard pondéral
    • j'en ai observé 6 cas en 4 mois, chez des nourrissons dont l'âge s'étalait de 1 à 28 mois :
    . 3 sur les 6 étaient atteints de dysenterie (dont 1 avait, en plus, un retard statural),
    . 1 était âgé d'un mois, né d'une mère qui n'en voulait pas (cf. paragraphe « Dépression »), le chef du service de pédiatrie, 30 ans d'expérience (Dr Delattre), m'avait averti que la plupart des malnutritions chez les Amérindiens viennent d'un problème familial
    • je mentionne par ailleurs 1 cas de retard staturo-pondéral, enfant de 5 ans et 5 mois et demi,  repéré juste avant mon départ, mon successeur m'a informé qu'il y avait en fait eu erreur de 18 mois sur la date de naissance, donc l'enfant était normal.
    absence apparente de kwashiorkor 
    • je n'en ai pas observé, ni entendu évoquer au passé
    absence apparente de carence en vitamine A 
    • je n'ai observé ni xérophtalmie, ni héméralopie;
    • à mes questions pour savoir s'il arrivait qu'un enfant soit gêné par une baisse de la vision crépusculaire ou bien s'il existait un mot Wayãpi ou teko pour désigner cela, la réponse fut « Il n'y a pas » ou « Non », mot d'ailleurs rarement employé par les Amérindiens.
    Incidence modeste des anémies
    1- j'ai rapporté la photocopie des numérations-formules sanguines de 36 femmes enceintes, pratiquées au cours de l'année 1999 au Laboratoire Départemental d'Hygiène de Cayenne :
    . 8 sont anémiées (taux d'hémoglobine < 11 g/dl, c'est le seuil retenu par DeMaeyer)
     sur 36 femmes, soit une proportion de 22,22 %
    . une seule a un taux d'hémoglobine < 10 g/dl, sur 36 femmes, soit une proportion de 3,12 %
    . aucune n' a un taux d'hémoglobine < 9,9 g/dl
    2- je n'ai jamais observé ce que je voyais une fois par mois en Angola : un tableau clinique d'anémie sévère avec pâleur de la peau brune qui prend un aspect grisâtre évocateur, le cul de sac conjonctival entièrement décoloré, et la koïlonychie qui signe la carence en fer.
    • Résultats : voici ces résultats du Haut Oyapock (c'est à dire de Camopiu à trois sauts) comparés à la proportion d'anémie dans le monde en 1980 (DeMaeyer) :

    Haut Oyapock

    Pays en développement

    Pays
    développés

    femmes enceintes

    22,22%

    59 %

    14 %

    femmes 15-49 ans

    47 %

    11 %

    • Discussion : comment expliquer cette incidence peu élevée ?
    En région tropicale la carence en fer (carence martiale) est de loin la première cause d'anémie et les facteurs de risque classiques sont :
    - l'alimentation essentiellement végétale, donc carencée en « fer facilement absorbable » présent uniquement dans le poisson et la viande/charcuterie.
    - les aliments qui inhibent l'absorption du fer : maïs, riz, haricot, farine complète, sorgho (DeMaeyer), les aliments riches en

    calcium (Doyle)
    - les boissons riches en tanins inhibent également l'absorption du fer : ce sont le thé, et dans une moindre mesure le café (DeMaeyer)
    - les pertes de fer par multiparité
    - les pertes de fer par parasitose digestive :
    ankylostomiase, bilharziose ou Gardias
    - plus une cause d'anémie non ferriprive : le paludisme quand il prend la forme d'accès palustres répétés
    (Ne pourrait-on pas considérer l'anémie comme un indicateur sensible mais non spécifique en santé publique ? La sensibilité est élevée puisque l'affection est polyfactorielle).
    Donc si une population est indemne d'anémie, c'est a priori qu'elle est indemne de tous ces facteurs; en effet les Indiens du Haut Oyapock :
    - chassent et pêchent presque tous les jours, or le poisson comme la viande contiennent des fibres musculaires actionnées par la myoglobine ; celle-ci (comme l'hémoglobine) contient du fer facilement absorbé par l'intestin (Doyle)
    - ne consomment  ni  thé ni café, mais de la bière de manioc qui n'a pas d'effet connu sur le fer
    - ne consomment  aucun aliment lacté (riche en calcium)
    - à Camopi, les femmes de moins de 30 ans prennent la « pilule » et ont rarement plus de deux ou trois enfants (ce n'est cependant pas le cas à Trois Sauts)
    Par contre la prévalence de l'ankylostomiase est de l'ordre de 60%, il s'agit cependant de la variété Necator americanus, qui serait dix fois moins hématophage que Strongyloides stercoralis mais cela est controversé.
    "Le fermier dit qu'il n'y a pas de chaloupe à Rocafuerte (...) nous invite à rester. C'est le seul endroit de la région, dit-il, où il n'y ait pas de paludisme. (...) Le lendemain, un peu avant le départ, une petite fille, habillée de rose et l'air très sérieux, me regarde plier mon lit et le donner à l'Indien.
    - Petite fille, je ne t'ai pas vue hier. Où étais-tu ?
    - Dans la maison.`
    - Pourquoi n'es-tu pas venue, jolie petite fille ?
    Alors elle s'est approchée, et m'a montré la paume de sa main.
    - Ah !
    La paume blanche : paludisme; elle a dû avoir une crise hier. C'est pourquoi elle était si sérieuse et d'ailleurs si pâle"
    Henri Michaux « Ecuador »  p.144 

    Cette petite fille amazonienne dont parle Henri Michaux est vraisemblablement cabocla, puisque « habillée de rose et l'air très sérieux, me regarde plier mon lit et le donner à l'Indien. ». Je n'en conclus pas que tous les Amérindiens d'Amazonie soient indemnes d'anémie, d'ailleurs la littérature médicale brésilienne décrit le contraire, mais il faut la lire en pensant que les populations très étudiées sont les Indiens contactés. On connaît nettement moins bien :
    - les millions de caboclo
    - et les derniers Indiens non contactés.
    • Conclusion : ces résultats nécessiteraient d'être confirmés par une étude spécifique
    absence de l'allaitement artificiel
    •  La seule exception était l'utilisation de l'allaitement artificiel par décision

    médicale dans le service de pédiatrie de Cayenne
    • Je fus frappé par ce caractère exclusif de l'allaitement maternel coexistant avec une certaine aisance matérielle, alors qu'en zone tropicale coexistent pauvreté et lait artificiel. Grâce à quoi ? A l'absence de publicité pour le lait artificiel ? A une éducation sanitaire antérieure ? Comment le savoir ? Le centre de santé de Camopi n'a pas de mémoire écrite excepté il est vrai un vieux registre rongé par l'humidité… Il est vrai que les indicateurs de niveau de vie, comme le PNB moyen par habitant, ont leurs limites. Par ailleurs, les Amérindiens perçoivent depuis quelques années le RMI, or le lait en poudre, comme la prostitution, est disponible à Villa Brasil, à trois cents mètres en face, les biberons peut-être aussi, ce qui est inquiétant pour l'avenir.
    les dents, problème de santé publique
    Les dents sont en mauvais état, les douleurs dentaires fréquentes, cela a été évalué, mesuré et consigné dans des thèses par plusieurs équipes de dentistes et d'étudiants. Deux dentistes et un médecin ont créé en 1994 une association l'A.W.O.G.F : « Aide médicale et dentaire aux Wayãpi et Emerillon du haut Oyapock en Guyane française » , et ont organisé bénévolement sur le Haut Oyapock des missions de soins qui se sont arrêtées en 1997, personne alors dans le département ne prit le relais. Heureusement une nouvelle mission a eu lieu en été 1999.
    le diabète, risque considérable si l'alimentation se modifie
    • le dépistage actuel n'est pas satisfaisant car fait avec une méthode insuffisamment sensible, la bandelette urinaire. De plus le dépistage n'est fait que pour les femmes enceintes. Je n'ai pas observé de diabète, ni mes prédécesseurs.
    • aux USA la prévalence du DNID (diabète non insulino-dépendant) dépasse 30% chez les Indiens Pimas alors qu'elle est de 6% chez les Blancs, les causes sont vraisemblablement à la fois :
    - génétiques
    - et liées à la transformation récente de l'environnement : alimentation moderne et inactivité, ce que l'on retrouve sur l'île de Nauru où la prévalence dépasse également 30% (Slama in Godeau).
    • Au Canada plutôt qu' « Indiens » ou  « Amérindiens », on utilise le terme « Autochtones ». La proportion d'adultes atteints de diabète sucré est de 6 % chez les Autochtones contre 2 % dans l'ensemble de la population canadienne. Montour et MacAulay rapportent que 48 % des Autochtones diabétiques de Kahnawake sont également atteints de cardiopathie ischémique.
    • Alimentation passée, présente et future :
    « Au lieu du pain, ils usent d'une certaine matière blanche, comme du coriandre confit »
    Montaigne « Essais » Livre I, 31
    Cette matière blanche est la cassave c'est-à-dire une grande galette blanche de 30 à 40 cm de diamètre, faite à partir de farine de manioc amer détoxifié.
    Je demandais systématiquement aux mères venues consulter avec leur enfant quelle nourriture elles  lui donnaient, la réponse était toujours, après un petit rire embarrassé : « …poisson…cassave… ».

    la santé menacée des amerindiens
    Accidents

    • les accidents de pirogue : en 4 mois, il n'y eut pas moins de 2 accidents de pirogue graves, tous deux provoqués par l'alcool, et nécessitant une évacuation sanitaire de nuit grâce à l'hélicoptère Puma de l'armée de l'air. Il faut distinguer les accidents provoqués par le passage d'un saut ou bien par la vitesse depuis que les moteurs remplacent les pagaies.
    • les accidents de chasse : plus rares, ils restent sans doute longtemps dans les mémoires, on dit qu'ils sont l'occasion

    idéale d'exercer une vengeance ; un père Wayãpi d'une quarantaine d'années qui amenait souvent ses enfants au centre de santé m'a un jour, avec une fierté discrète, montré ses cicatrices d'une ancienne plaie transfixiante du thorax par accident de chasse, plaie qui avait nécessité une hospitalisation de 4 mois à Marie Lannelongue (à Robinson, sud de Paris).
    • les noyades : un enfant de 3 ans s'est noyé, emporté dans un saut à ilet Moula, les autres enfants

    jouant avec lui dans la rivière ont appelé à l'aide, un oncle a plongé à sa recherche, l'a retrouvé sous l'eau un quart d'heure plus tard et  amené au Centre de Santé, il était trop tard.
    • les brûlures : bénignes et fréquentes chez les enfants ; il y a à Camopi un cas de brûlure grave et étendue qui remonte à plusieurs années mais a laissé des séquelles inesthétiques sur la face et les bras chez une femme que son mari ivre avait poussée dans le feu.

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